À 71 ans, Gernot Rohr n’a rien perdu de sa passion pour le football. Il reste toujours franc lorsqu’il parle de ce sport qu’il sert depuis plus de quatre décennies. Le sélectionneur Franco-allemand s’apprête à vivre une nouvelle aventure africaine : sa quatrième Coupe d’Afrique des Nations, la première avec le Bénin, pays qu’il a contribué à ramener sur la scène continentale. Avec calme, lucidité et un brin de poésie, il évoque dans une interview accordée à cafonline, cette CAN Maroc 2025, comme une mission à la fois sportive et humaine.

La CAN : « une compétition de très haut niveau »
Pour Rohr, la CAN est un vrai challenge et une confrontation de grande envergure. « C’est une compétition de très haut niveau, riche en couleurs, en ambiance et en folklore, avec un intérêt sportif immense, car elle réunit véritablement les meilleures équipes africaines. » De ses trois précédentes participations, le technicien garde des images fortes. En 2012, avec le Gabon, il avait vécu un conte patriotique : « Avec le Gabon, pays hôte, nous avions joué entre Libreville et Franceville. Nous avions remporté nos trois matchs de groupe, ce qui était sensationnel, car nous partagions le groupe avec la Tunisie, le Maroc et le Niger. Un excellent souvenir, car tout le pays était derrière son équipe. ». Un an plus tard, il découvre une autre réalité avec le Niger, pays alors modeste sur la scène continentale : « une petite surprise à l’époque, car le pays n’était pas encore une grande nation du football. Entre-temps, ils se sont beaucoup améliorés. Avec le Niger, nous avions battu la Guinée pour nous qualifier pour cette CAN, qui se déroulait en Afrique du Sud. » Et puis il y eut 2019, avec le Nigeria, ponctuée d’un bronze mérité : « Enfin, avec le Nigeria, nous avons réalisé un très bon tournoi : nous avons éliminé l’Afrique du Sud (2-1) en quart de finale, puis, après un match héroïque perdu contre l’Algérie (1-2), future championne d’Afrique, nous avons remporté la médaille de bronze en battant la Tunisie (0-1) lors de la petite finale. » a confié Gernot Rohr.
Une CAN qui grandit avec le temps
De 16 à 24 équipes, de stades rudimentaires à des enceintes modernes, la CAN a beaucoup changé. Rohr en est témoin : « La Coupe d’Afrique des Nations a considérablement évolué, notamment avec l’augmentation du nombre d’équipes : elles sont désormais 24, contre seulement 16 auparavant. Elle s’adapte également aux avancées technologiques en intégrant la VAR, un outil essentiel. » Pour lui, l’édition 2025 symbolise une nouvelle ère : celle d’une Afrique du football sûre d’elle-même, fière de sa croissance et ambitieuse dans son image mondiale.
Le Bénin, une équipe en pleine mutation

Sous sa houlette, les Guépards ont changé de visage, de mentalité et même de symbole. Fini les Écureuils jugés fragiles ; place à des Guépards plus fiers et combatifs. Rohr assume cette transformation. « Être outsider n’est pas un problème en soi, mais cela peut parfois entraîner des décisions arbitrales défavorables […] Aujourd’hui, avec la qualification à la CAN et la belle campagne lors des éliminatoires de la Coupe du Monde, je pense que le Bénin, qui a d’ailleurs changé de surnom, passant des Écureuils aux Guépards, est sur la bonne voie pour devenir un pays respecté dans le football africain. » a-t-il déclaré. Le Bénin retrouve la CAN après deux éditions d’absence. Le tirage au sort des groupes n’a pas été clément : Sénégal, RD Congo, Botswana. Un groupe relevé, presque intimidant. Rohr le sait, mais refuse de se laisser impressionner. « C’est donc un groupe difficile et exigeant, mais nous avons vraiment l’ambition de le dépasser. Il est impératif de battre le Botswana et, pourquoi pas, d’obtenir quelque chose contre les deux autres équipes. Ce ne sera pas facile, mais c’est réalisable, car mon équipe a considérablement progressé. » affirme Rohr avec confiance.
Une équipe forgée par l’adversité
Ces dernières années, les Guépards ont grandi dans des conditions complexes. Privés de stade homologué, contraints de jouer “à domicile” en Côte d’Ivoire, ils ont appris la dure école du courage. « Pendant toute cette période, nous avons donc joué tous nos matchs à l’extérieur, ce qui n’a pas été un avantage. Beaucoup de voyages, alors que d’autres équipes bénéficiaient de conditions plus favorables » Le groupe est jeune, mais mûr. Rohr a intégré plusieurs joueurs issus des U20, symbole d’une génération montante. « nous avons intégré plusieurs joueurs issus des U20, et la moitié de l’équipe actuelle provient de cette génération d’il y a deux ans. » Un progrès significatif que l’ancien défenseur des Girondins de Bordeaux pense pérenniser pour préparer au mieux son équipe pour la CAN. « Nous cherchons encore des moyens d’élever notre niveau de jeu. Je pense que cela reste possible grâce à une préparation sérieuse en novembre et à un dernier stage, certainement au Maroc, pour aborder dans les meilleures conditions notre premier match contre la RD Congo. »
La campagne mondiale, un tremplin

Le parcours du Bénin lors des qualifications pour la Coupe du Monde 2026 reste une fierté malgré la déception. Les Guépards ont terminé avec 17 points, autant que le Nigeria, et ont réussi un exploit mémorable : battre les Super Eagles à Abidjan. « Nous avons été la seule équipe à battre le Nigeria à Abidjan, alors qu’il restait invaincu dans tous les autres matchs. Nos seuls regrets concernent les deux premiers buts encaissés au Nigeria lors du match décisif. » Cette expérience, selon Rohr, a soudé le groupe et permis de corriger certaines failles : « cette expérience nous a permis de nous structurer, de nous renforcer et de nous préparer mentalement. » rassure-t-il.
Objectif pour la CAN 2025 : remporter au moins un match
Rohr n’aime pas parler de rêve, mais d’objectif clair. Et pour lui, il commence par un mot simple : gagner. « Lors de la dernière édition en 2019, le Bénin avait terminé les huitièmes de finale avec trois matchs nuls, sans victoire, excepté au tir au but. Cette fois, nous voulons absolument gagner. » Le ton est mesuré, humble, mais la flamme est réelle. Derrière les phrases calmes, on sent une ambition sincère : celle de faire franchir un cap à tout un pays. Et lorsqu’on lui demande ce qu’il rêverait de lire dans les journaux après la compétition, il laisse échapper une phrase pleine de symboles : « Le miracle du Bénin ! En référence de la victoire en finale de la Coupe du Monde 1954, lorsque l’Allemagne avait battu la Hongrie 3-2 en Suisse. Et là, on voudrait faire le miracle du Bénin. » Ce “miracle”, Rohr le voit comme une synthèse de tout ce qu’il aime dans le football africain : le travail, la foi, la solidarité, et ce goût des impossibles qui finissent par arriver. « Le football n’est pas une guerre, mais un combat, et le respect est primordial. Il faut être conscient que l’on joue pour un pays entier, et non pour une ville ou une région. » a-t-il déclaré.
Encore un pas vers l’histoire
À l’aube de cette CAN 2025, les Guépards du Bénin avancent avec la discrétion des outsiders, mais la conviction des bâtisseurs. Gernot Rohr sait qu’il porte sur ses épaules plus qu’une équipe : il porte une génération, un rêve et une nation. Et tout comme ses joueurs, il est prêt à relever le défi, à écrire l’histoire, à faire rêver tout un peuple.


Laisser un commentaire